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  • lundi 27 août 2018

    Isidore et les autres

    Camille Bordas
    éd. Inculte
    19.90 €

    Drôle de famille que la famille Mazal… Même si l'on est invité dès l'ouverture du roman au plus près de leur intimité, le premier abord est si froid que la lecture tâtonne un peu, prudente, sans que l'on sache bien où l'auteure veut nous emmener. 
    Très nombreuse – six enfants tout de même, cette famille n'a pourtant rien des tribus bruyantes, joyeuses et bordéliques qui vous mettent tout de suite à l'aise. Les aînés, tous surdoués, sont occupés à la rédaction de thèses ou à la poursuite de brillantes études, « le père » travaille loin, passe peu de temps avec sa famille et semble pressé de repartir lorsque cela arrive… La seule connivence familiale se fait sur le dos du reste du monde, lors de sessions « condescendance ». Isidore, treize ans, se fait le chroniqueur lunaire de cette routine un peu triste.
    Plus jeune enfant de la fratrie, il se considère aussi comme le « moins beau et le moins intelligent » de tous. Pourtant, quand le père meurt, les qualités d'empathie d'Isidore qui manquent tant aux autres membres de la famille seront pour chacun la consolation, l'indispensable liant et l'ouverture vers d'autres possibles.
    Et voilà qu'au fil de la lecture on se met à sourire, à s'attendrir, à rire aux éclats par moments. Ça y est, on y est attachés à ces doux-dingues, qui finalement, chacun à sa façon, se débattent avec la difficulté de vivre et de trouver sa place.
    N'en doutons pas, Camille Bordas sait très exactement où elle nous emmène, et avec quel talent !

    Claire

    lundi 20 août 2018

    Kanaky. Sur les traces d'Alphonse Dianou

    Joseph Andras
    Actes sud
    21 €

    Pour moi, premier gros coup de cœur de cette rentrée littéraire ! (sortie septembre 2018)
    Nouvelle Calédonie / Kanaky. Le 22 avril 1988, à la veille du second tour des élections présidentielles qui verront s'opposer Mitterrand et Chirac, un groupe d'hommes attaque une gendarmerie sur l'île d'Ouvéa. L'objectif est de l'occuper jusqu'aux élections et d'attirer ainsi l'attention sur les revendications des militants indépendantistes. Mais l'occupation dérape, des coups de feu sont tirés et des hommes meurent. S'ensuit une prise d'otages improvisée qui se terminera par l'intervention des forces spéciales et un bain de sang. C'est l'affaire dite de « la prise d'otages de la grotte d'Ouvéa ».
    A la tête de cette action, Alphonse Dianou, ancien séminariste et fervent défenseur de la non-violence. Trente ans après les événements, Jospeh Andras part à le rencontre de ceux qui l'ont connu pour tenter de cerner qui était celui à qui Jacques Chirac dénia le statut même d'être humain (Il parlera de « la barbarie de ces hommes, si l'on peut les appeler ainsi »).
    Pourquoi se focaliser sur Dianou ?  Andras l'explique ainsi : « Un visage aide à tracer l'idée, une histoire épaule l'Histoire. Arbitraire, sans doute ; injuste, probablement – notre homme ne s'entend qu'à la condition d'écouter tous les siens, plus encore en ces terres où le moi a l'allure d'un gros mot. » Ainsi, à travers l'image kaléidoscopique de cet homme, -  « ni Gandhi ni Guevara » - qui se dessine peu à peu, c'est l'histoire de tout un peuple qui nous est donnée à voir, avec infiniment de respect. L'auteur s'attache aussi à tirer au clair les responsabilités de l’État dans le traitement sanglant de cet épisode des luttes anticolonialistes du XXe siècle.

    Leçon d'histoire autant qu'entreprise de réhabilitation, passionnant de bout en bout et extrêmement émouvant, ce récit résonne longtemps après sa lecture, et son acuité est d'autant plus forte que les Kanak sont appelés à se prononcer par référendum sur leur indépendance en novembre 2018.

    « Le passé vaut en ce qu'il porte de présent et met bas d'avenir. On ne refera pas l'Histoire mais on doit à celle qui se fait d'en être l'acteur. La bile revient aux morts : il n'y a rien à expier mais tout à combattre. A l'égard du passé, écrivit Simone de Beauvoir dans Pour une morale de l’ambiguïté « aucune action n'est plus possible » : cela fut et rien ne peut être fait. Mais l'on peut « intégrer au patrimoine humain », par les mots, qui manquèrent alors, celles et ceux qui franchirent le temps sans tambour ni trompette. »

    Claire

    Journal d'une fille chien

    Laura Jaffé
    éd. La Ville brûle
    collection Le jour se lève
    10 €

    2038. Josépha est née « recouverte des pieds à la tête de longs poils clairs et soyeux comme ceux d'un jeune épagneul breton ». Atteinte d'hypertricose, la jeune fille a été élue « Miss atrocité » dans son collège, et même sa mère évite de la regarder. Dans son journal intime, elle fait pourtant preuve d'humour et de force de caractère pour raconter son difficile quotidien, quand elle n'aspire qu'à vivre une vie normale. Mais sa situation va empirer quand le régime totalitaire de son pays décide de procéder à l'enfermement puis à l'élimination de toutes les personnes « non conformes ». Avec ses nouveaux amis « monstrueux », elle se retrouve exhibée comme une bête de foire dans une émission de télé-réalité…

    Dans ce récit touchant qui inaugure la collection de romans pour ados des éditions La Ville Brûle, Laura Jaffé a transposé dans un futur proche des faits historiques datant de l'époque nazie, tout un programme d'enfermement et de mise à mort d'enfants et d'adultes handicapés, au nom de la « pureté de la race ». 
    A la fois devoir de mémoire et mise en garde contre la dictature de la norme et le rejet des différences.