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  • dimanche 15 juillet 2018

    Beaux morceaux



    Tsiganes. Sur la route avec les Rom Lovara, Jan Joors, Phébus 1990
    J'évoquerai d'abord la couleur de mon âme : l'immensité du ciel omniprésent, l'éternité de l'instant où la nuit n'était que la continuation du jour, la boue, l'eau bue saumâtre, l'inconfort… Le défi des incessants départs, les tourbillons de poussière, les arbres rares, les vents plaintifs, le ciel nocturne rassurant… Le piaffement des chevaux, le cercle des roulottes, les feux de camp, les jeux des enfants, l'aboiement des chiens… Les raids de la police montée, la dignité des Rom, leur magnétisme animal, le lac où , au soleil, jouaient les carpes, la venue du crépuscule…

    Je m'étais approché du camp. Des chiens jaunes au poil raide et à l'air mauvais montrèrent les dents puis se mirent à aboyer. Il y avait sur le terre-plein quinze roulottes disposées de façon à ne pas être vues de la route. Autour des feux, des femmes étaient accroupies. Elles avaient de grands yeux expressifs, des dents éclatantes, une peau mate, des cheveux noirs au point d'en paraître bleus. […] Ces femmes paraissaient pleines de santé et de vitalité. Des hordes d'enfants aux pieds nus jouaient autour des roulottes ; quelques uns vêtus de haillons, la plupart nus. […]

    Les roulottes étaient montées sur de hautes roues, avec trois fenêtres de chaque côté et une double porte. Les parois extérieures étaient en chêne naturel verni, le toit était blanc. Des piles d'édredons recouverts d'un tissu à fleurs fané prenaient l'air au soleil.

    J'avais douze ans quand les Tsiganes, tard dans le printemps, passèrent par ma ville. Je décidai d'aller voir ces gens merveilleux dont mon père m'avait si souvent parlé. Depuis la veille, ils campaient dans un terrain vague. Demain sans doute ils seraient partis, ne laissant comme trace de leur passage que quelques foyers noirs, des déchets et de l'herbe foulée. Et il ne subsisterait sur eux que rumeurs.

    Quittant la route pavée, j'écartai les hautes herbes et pénétrai dans le camp. J'eus tout de suite l'impression de marcher sur un sol étranger mais n'en éprouvai aucune angoisse. Les adultes ne firent pas attention à moi, mais quelques garçons de mon âge vinrent me rejoindre à l'endroit où l'herbe avait été foulée : la ligne séparant deux mondes.


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