architecturé par Benjamin Mayet
éd. La Volte
6.00 €
Attention ! Objet littéraire hybride extrêmement
stimulant !
En ces temps où la pensée est rendue inaudible
par le bruit médiatique, ce petit ouvrage souffle un salutaire
esprit libertaire, auquel, même si l'on n'y adhère pas, on ne peut
rester indifférent. 70 pages que plusieurs lectures ne sauront
épuiser, et que l'on a immédiatement envie de faire lire autour de
soi, tant est précieux ce qui peut relancer et nourrir l'esprit de
résistance.
Composé en deux parties, le livre s'ouvre sur un
monologue dont tout, à l'exception d'« une dizaine de
conjonctions et de quelques pronoms » est extrait de La
zone du dehors, roman d'anticipation à forte charge politique
écrit il y a près de vingt-cinq ans par Alain Damasio et qui
dénonçait les sociétés de contrôle de nos pseudo-démocraties.
On est pourtant comme devant un texte nouveau
puisque ces extraits ont été choisis, montés, samplés
par Benjamin Mayet qui leur a donné vie sur scène avec la Compagnie
Je pars à Zart. Le jeune comédien et performer, se
ré-appropriant les écrits de son aîné, en a extrait ce qui
résonnait le plus fort avec notre époque et avec « une
parole qu'il sentait en lui sans pouvoir la nommer ».
A la lecture, ce montage percutant joue encore pleinement
son rôle d'invitation à une insurrection des consciences, appelant
chacun à une « quête de puissance intime », à
une « rébellion de chaque instant, contre nous-même et en
nous-même, contre le confort, les habitudes, le consensus qui nous
mène ». Car, postule-t-il avec Descartes, il s'agit moins
de changer l'ordre du monde que ses propres désirs.
La seconde partie de l'ouvrage est de la « plume »
de Damasio cette fois (quoi qu'il place davantage son écriture du
côté du « pied-de-biche » - « écrire, c'est
tenter de desceller la plaque de la phrase, de sorte qu'un peu
d'espace, subitement, y pénètre et l'évaste »).
Revenant sur La Zone du dehors,
roman visionnaire à plus d'un titre, il constate pourtant qu'il n'a
pas su y anticiper (un comble !) la forme que prendrait le contrôle
dans nos sociétés, avec l'avènement de la technologie digitale,
l'emprise des réseaux, de « l'interconnexion arachnéenne » :
une société où l'on se fabrique des « technococons
emmaillotés de fibres optiques qui pendent comme des sacs de
chenille aux branches du capital – et qu'aucun printemps n'arrive
pour l'instant à déchirer ».
Il déplore d'autant plus ce système de contrôle que c'est par le bas, analyse-t-il, qu'il se fabrique : "le peuple se posant et se vivant comme libre" appelle de ses vœux et participe au quotidien à ce système. "L'action politique, lente et incertaine, l'envie de militer pour changer la société dans laquelle on vit pèse au final moins que 50 cm2 de surface tactile ouverte sur un réseau immense. Le monde peut continuer à rester ce qu'il est tant que je peux gérer au quotidien mon monde, tant qu'on me laisse manipuler le tamagochi des choix minuscules qui singent ma liberté."
Réflexion philosophique et politique, ce livre nous donne de l'air, tout simplement. "On en manque aujourd'hui. Parce qu'on croit que l'air vient seulement du dehors, qu'il suffit d'aller en chercher le vent, de sortir de la matrice par une porte dérobée. Le secret pourtant est simple : l'air ne se trouve pas : il se crée."
Cet
auteur trop rare serait en pleine rédaction de son troisième roman,
après La zone du dehors et La Horde du contrevent :
c'est peu dire que nous l'attendons avec impatience !
Claire
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